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« Décale-toi ! » est un projet de trois tableaux autour de questions politiques : le fascisme, la descendance. Nous pourrions dire trois tableaux autour d’une même figure. Mais avant tout c’est une rencontre entre un auteur, un metteur en scène et une comédienne. La finalisation de ce projet sur un plateau de théâtre est indispensable pour que soient visibles les trois écritures qui le traversent.

Le texte en lui-même, est né de trois processus différents. La première partie, un enterrement, a été mis en écriture juste avant les premières séances de travail, et raconte la mise en terre d’un homme dans le regard de sa petite fille. Cette forme, à la fois proche de la nouvelle, ou une manière détournée de faire conte, est le fruit d’une discussion entre l’auteur, le metteur en scène et la comédienne. La seconde partie est antérieure au projet, et appartient à un recueil de texte qui se nomme « À corps perdu / les colporteurs ». Ce texte a été retravaillé lors des séances en décembre 2003 à Brest, pour non pas l’adapter mais le clarifier. La forme de ce texte est plus poétique – à l’intérieur, où se projettent les questions de cette petite fille, de cette femme, après, ou longtemps après l’enterrement. La troisième partie s’est écrite avec le plateau, avec l’espace et les questions qu’il pose, avec les corps des uns et des autres. En cela il est a priori plus théâtral, tourné vers le dialogue, même impossible. Il offre peut-être aussi une chance au burlesque de venir déformer la violence qui s’installe.

Nous pourrions poser ces questions, comme des entêtes à ce projet :

Comment faire avec ce passé tragique qui nous dévore ?

Devons-nous nous laisser dévorer ?

Ou, pour reprendre ce que Deleuze nous dit, contre quel fascisme devons-nous lutter ?

Nous n’avons pas la prétention d’apporter des réponses, et en aucun cas nous désirons faire la morale. « Décale-toi ! », c’est une invitation à regarder autrement, à orienter différemment notre regard, rien de plus. Et si nous le faisons avec violence, cette violence est la notre, nous percevons les choses ainsi, mais à aucun moment elle n’est adressée contre ceux qui regardent, ou du moins pas en accusation. Nous sommes nos propres accusés, et c’est en cela qu’il y a une violence, la violence d’une impuissance.

C’est un geste poétique de trois écritures. Nous ne sommes pas en souffrance dans ce travail, nous tentons d’ouvrir, de permettre à un voyage de se faire. Un voyage dans la pensée, dans les corps, dans l’Histoire, même modestement, dans la langue que nous cherchons et qu’il nous faut trouver pour que cela soit possible.

Décale-toi ! se décline en trois parties distinctes qui se construisent autour d’une même figure, mais il s’agit bien de trois formes différentes. Une première partie narrative témoigne d’un enterrement, une seconde d’un discours poétique et intérieur, et enfin une troisième prend une forme dialoguée, invite au théâtre et à dépasser ce cadre. Il y a comme un épuisement de ces trois formes, qui pourtant laissent des traces ; cette figure se retrouve traversée et métamorphosée par ce voyage, ce triptyque. Ce n’est pas un constat d’échec de ces formes pour autant – il n’y a pas de jugement de valeur sur le passé, le présent – mais la recherche d’une posture politique, peut-être philosophique, poétique et artistique aujourd’hui.

Se pose à travers ce texte la question suivante : comment se réapproprier un discours politique ? Bien entendu ce discours politique prend en compte les précédents, c’est-à-dire leurs utopies et leurs impasses, pour pouvoir ainsi les dépasser. Hors nous ne sommes pas des politiques, nous ne sommes pas à même de formuler précisément un discours politique, mais dans notre posture artistique, par le trouble de la poésie, nous tentons de nous définir dans cet espace en mutation.

La question du fascisme est historique, elle est définie dans le temps. Le dénoncer aujourd’hui pose le problème de sa définition. Est-ce vraiment le fascisme, comme il s’est représenté jusqu’ici, le véritable danger pour notre société et n’y-t-il pas un nouveau fascisme, plus sournois, comme en parle Deleuze, un « néo-fascisme » qui se nourrit de nos petites peurs et promet une paix à son profit.

Ces questions ne trouvent pas de réponses, le personnage féminin de Décale-toi ! ne révèle jamais sa propre position par rapport au fascisme, elle reste ambiguë, comme l’est aussi la société toujours hésitante entre la fragilité d’une démocratie et l’efficacité d’une dictature. Elle-même semble faire l’expérience du fascisme, et sans doute Décale-toi ! n’est qu’une expérience.