Exit

texte pour 8 acteurs

Personnages

Lui
Elle
L’autre
L’ombre d’une femme (ou le fantôme d’une femme)
L’ombre d’un premier homme (ou le fantôme d’un homme)
L’ombre d’un deuxième homme (ou le fantôme d’un autre homme)
L’homme allongé
Le flic

Scène 10 – Lui – il se lance dans un discours ­!

Lui – À force de perdre la langue, toute forme de dialogue devient impossible. Je ne cesse d’entendre parler de négociations, mais est-il possible de négocier quoi que ce soit quand il n’y a plus de parole, quand la langue est morte, épuisée par des formules toutes faites, par des slogans vides de sens. Ceux qui osent encore une parole ne sont

pas écoutés. Il est tellement plus simple de les ridiculiser, de les comparer à ceux qui ne disent rien et qui sont plus efficaces. Ils maîtrisent tellement les rouages de l’absence de sens qu’ils réussissent à noyer le peu de sens qui reste.
Je ne crois pas pour autant au silence. Si je reste là, qu’importe le lieu précisément, ici, dans un appartement, dans une rue, une quelconque ville, un quelconque pays, tout est réduit à n’être qu’une fiction, si je reste là, silencieusement, je ne porterai pas plus de sens, et mon absence de geste pourra être aussi mal interprétée que des paroles émises par d’autres. Il faudrait pouvoir retourner le langage, le rendre tranchant, qu’il coupe les langues qui trahissent… Non, je tombe déjà dans l’excès… un alignement de guillotines de langues. Qu’il coupe pourtant, qu’il rende toute absence de parole impossible mais que ceux qui n’ont rien à dire se taisent. Laisser à nouveau entendre du sens. Et rien d’autre. Mais je sais que là encore je me trompe. Que le poème n’a pas de sens, que c’est parce qu’il n’a pas de sens qu’il en porte plusieurs. Qu’il faut absolument le poème pour se battre contre l’absence de langue. Que la communication a tué la langue, a rendu le poème indéchiffrable et obscur. Que les envolées lyriques ne sont que des fioritures pour faire passer un discours abject. Le poème contre le sens de la formule. Retrouvons l’épaisseur de la langue et ses abysses. Réapproprions-nous les langages avant qu’ils ne soient définitivement appauvris.

Scène 13 – l’homme allongé hurle, mais sa parole est en partie étouffée par le duvet qui le protège

L’homme allongé – Vous allez fermer vos gueules, bande de crétins. Vous allez me foutre la paix bordel. Si je viens dans ce trou merdique, loin des grands axes de cette putain de ville, ce n’est pas pour me faire emmerder par des connards. Si encore vous étiez capables de penser. Putain de merde. Pire que des fantômes. Vous puez l’alcool et la sueur. Faites chier. Vous croyez quoi ? Qu’en parlant vous sauverez le monde !
Ah ! Belle connerie !
Alors, foutez-moi le camp, le plus loin de moi possible. Cassez-vous, retournez chialer chez vos mères et que la République vous protège ! (Il rit puis s’assombrit.)
Cassez-vous putain ! Cassez-vous ! Avant d’être contaminés. Regardez-moi, regardez ma détresse. Je me suis perdu et j’ai cru que c’était un choix, ou une absence de choix.
Battez-vous ! Mais ne vous battez pas contre des fantômes, battez-vous contre vous-même. Faites-vous violence avec et que la violence vous emporte. Cassez-vous, ne restez pas là ! C’est un gouffre ici, qui absorbe toute énergie, tout désir, qui vide jusqu’au plus intime souvenir. Comme cette jeune fille que j’ai tant aimée enfant… son visage disparaît ne me laissant que l’amer et désagréable goût de l’échec.